Revue « Epistolaire », n° 48, 2022 : « Epistolaire et biographie »

Le dossier de la revue Epistolaire n48 se propose d’étudier un lien particulier, celui qui unit la correspondance à la biographie. La correspondance n’est-elle qu’un matériau informatif pour le biographe, ou celui-ci peut-il en tirer d’autres types d’enseignement ? Comment utiliser la lettre ? La correspondance peut-elle égarer le biographe ? Celui-ci utilise-t-il de la même manière lettres, journaux intimes ou textes autobiographiques de celui dont il raconte la vie ou accorde-t-il à ces différentes écritures de soi des places différentes ? Françoise Simonet-Tenant propose une réflexion générale sur les rapports entre lettre et biographie. José-Luis Diaz analyse avec acuité les relations privilégiées entre biographe et correspondance dans la seconde moitié du XIXe siècle. Geneviève Haroche-Bouzinac s’intéresse à l’exploitation que peut faire le biographe de la matérialité de la lettre. Stéphanie Genand s’interroge sur la trace mémorielle que constitue l’épistolaire chez Sade et Germaine de Staël, écrivains réfractaires à l’intime. Jean-Marc Hovasse montre ce que peuvent encore apporter les lettres inédites à la biographie de Victor Hugo. Pierre-Jean Dufief s’interroge sur l’utilisation des lettres par les frères Goncourt dans les biographies qu’ils ont composées et souligne que les biographes des deux frères se sont mis à leur école, découvrant dans leurs lettres le complément du Journal. Philippe De Vita compare l’utilisation de la lettre dans deux biographies de Jean Renoir, celle de Célia Bertin (1986) et celle de Pascal Mérigeau (2012). Hélène Gestern analyse l’apport indispensable qu’a constitué la correspondance échangée par le poète Armen Lubin avec Jean Paulhan, Henri Thomas, la peintre Madeleine Follain pour raconter la vie qu’il a menée en France. 

Vous pouvez télécharger la table des matières, suivie de l’avant propos-introductif

Séminaire Autobiographie et Correspondances : séance du 11 décembre 2021 (Hélène Gestern et Janine Altounian)

Séminaire Autobiographie et Correspondances

Séance du 11 décembre 2021 (10h-13h)

ENS, 45 rue d’Ulm, Salle Beckett

Le passe sanitaire ne sera pas exigé, mais le port du masque sera obligatoire

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Armen : une vie à écrire
Hélène Gestern

En 2020 a paru aux éditions Arléa Armen, d’Hélène Gestern. Le point de départ de ce livre était une enquête sur la vie, mal connue ou en partie oubliée, de l’écrivain et prosateur arménien Chahan Chahnour, qui devint poète français sous le nom d’Armen Lubin. Il publia ainsi quatre recueils de poèmes (dont Le Passager clandestin, en 1946) et une suite de courts textes poétiques (Transfert nocturne, 1955) aux éditions Gallimard entre 1946 et 1957. Armen, sa biographie, est un livre qui n’a jamais été conçu comme un ouvrage académique, en raison de la forte empreinte subjective qui était la sienne. Pour cette raison, il a néanmoins confronté, durant son écriture, son autrice à plusieurs problématiques.

La première était celle de l’arménien : comment dire l’autre quand on ne parle pas sa langue et que, de fait, une partie de ce qu’il vécut et écrivit est vouée à demeurer inconnue ?  La seconde question était celle de l’écriture : est-il possible, dès lors qu’on choisit de ne pas s’inscrire dans un modèle académique, d’éviter l’écueil de la fictionalisation, ou de la romantisation d’une destinée, fussent-elles l’une comme l’autre involontaires ? À quelle distance demeurer de son sujet et comment raconter une vie sans la trahir ? 

Mais la question la plus centrale, qui a terme a déterminé l’ensemble de la conception du livre, a été celle de l’affinité : pourquoi, lorsqu’on s’engage dans le récit de la vie d’un tiers, se tourne-t-on vers lui plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui, dans son existence, nous arrête et nous retient au point qu’on s’y absorbe pendant plusieurs années ? Ici, la trajectoire de la vie d’un homme, détruit par l’exil et la maladie, sauvé par l’écriture, consonait avec certaines préoccupations anciennes de la vie de la narratrice, qu’elle n’avait pas souhaité interroger jusque-là. Le livre, finalement, a été construit comme un récit double, sur le mode d’un dialogue et d’une mise en échos des existences du biographié et de sa biographe : une forme de subjectivité, de partialité résolue, peut-être seule à même de racheter l’incomplétude de la démarche.

Le premier chapitre du livre
Greg Kerr sur Armen
Sur l’Arménie


Acquiescer à la vie
Janine Altounian

Janine Altounian est essayiste, germaniste, traductrice de Freud. Née en 1934 de parents rescapés du génocide arménien, elle a consacré sa vie à penser la traduction du traumatisme. Elle ainsi publié la traduction du récit de déportation de son père, publié et commenté dans « Ouvrez moi seulement les chemins d’Arménie », un génocide aux déserts de l’inconscient (Paris, Les Belles Lettres, 1990), et poursuivi une réflexion d’une forme particulièrement originale, où biographie et autobiographie sont régulièrement convoquées comme pivots d’une pensée à la fois personnelle, politique et psychanalytique. Dans L’Effacement des lieux. Autobiographie d’une analysante, héritière de survivants et traductrice de Freud (Paris, PUF, 2019), qu’elle nomme son « livre testament », Janine Altounian décrit ainsi sa pratique : « Une écriture testimoniale d’un certain type où le récit autobiographique instruit à chaque fois une ”vignette clinique” sur laquelle s’étaye la secondarisation d’une réflexion analytique ». L’expérience de vie y est immédiatement déchiffrée dans un dialogue entre l’affect et la raison, entre la brutalité des émotions et une patiente démarche de leur élucidation par la psychanalyse, par une écriture qui, si elle est bien celle de l’essai, n’en est pas moins riche d’une force poétique intrinsèque.

Nous nous entretiendrons avec Janine Altounian à propos de son approche singulière de la biographie et de l’autobiographie : quel(s) rôle(s) ont-elles joué dans son œuvre, et comment dire la vie d’un tiers (son père ?) qui a longtemps gardé le silence sur son histoire ? Comment faire face à l’intraduisible ? Ce qui nous amènera également à évoquer avec elle le rôle de la langue, de la transmission de la mémoire traumatique par le récit, et  à nous interroger sur la portée des expériences singulières et du témoignage, lorsqu’ils sont de la sorte réhistoricisés et remaniés par le travail analytique.

Sur l’ouvrage de Janine Altounian
Le site de Janine Altounian

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Sommaire du site

Retrouvez les articles, études et notes de lecture proposés par Autobiosphère sur notre page de sommaire. Quelques articles ou études d’auteurs ici en accès direct pour vous donner un avant-goût, mais bien d’autres vous attendent. Bonne lecture !

Janine AltounianRené DepestreE. Bloch-DanoGrégoire BouillierRenée Vivien
Hélène BerrMarie ChaixAnnie ErnauxMichèle GazierHélène Hoppenot
Benoîte GroultMichèle GazierMaurice GarçonFrançois GardeHarry Mathews
Armen LubinYves NavarreGeorges PerecJacques RoubaudPhilippe Lançon
Raymond QueneauSophie CallePhilippe Lejeune Joyce Carol OatesClaire Paulhan
Violette LeducFrançois II RákócziC. RochefortBlossom DouthatR. Depardon
F. d’EaubonneRomain GaryXavier CercasA. Spire / O FischerV. de Watteville
Hélène BessetteLaura AlcobaHarry Mathews (2)Anthony PasseronMathieu Lindon

24 avril

Ce 24 avril, la 105e commémoration du génocide arménien ne pourra avoir lieu comme elle l’aurait dû pour cause d’épidémie. Parce qu’autobiographies, journaux et correspondances consignent aussi l’Histoire, et que celle de la mémoire arménienne en fait partie, il a souvent été question de celle-ci au cours des travaux du séminaire. Nous vous recommandons la lecture de :

• L’essai de Janine Altounian, L’Effacement des lieux. Autobiographie d’une analysante, héritière de survivants et traductrice de Freud, présenté ici, et la note de lecture relative à cet ouvrage. Janine Altounian devait intervenir cette année au séminaire à propos de ce livre ; elle sera notre invitée à l’automne.

L’interview de Greg Kerr, enseignant-chercheur à l’université de Glasgow, qui est intervenu au séminaire à propos de l’écrivain Chahan Chahnour, qui devint en France Armen Lubin.

• L’article de Krikor Beledian, « L’Écriture comme réécriture chez Chahan Chahnour/Armen Lubin », sur les mécanismes de récriture à l’oeuvre chez Chahnour-Lubin et son double rapport à l’arménien et au français.

• La présentation de la séance de séminaire de juin 2019, assurée par Élodie Bouygues et Hélène Gestern, qui portait sur la correspondance de Madeleine et de Jean Follain, et celle de Madeleine Follain et d’Armen Lubin

Les mémoires de Zaven Bibérian, Car vivre, c’était se battre et faire l’amour, paru aux édition Aras (Istanbul) en 2019.

• Les éditions Parenthèses et l’ensemble de sa collection Diasporales, qui proposent régulièrement des récits mémoriels liés à l’Arménie.

Armen, l’exil et l’écriture, d’Hélène Gestern. Ce lire devait paraître le 19 mars et sera de nouveau proposé à la vente lors du déconfinement. Vous pouvez en lire le premier chapitre ici.

Les épreuves passent, la mémoire demeure.

Séminaire A&C : une fin d’année en toutes lettres (séance du 15 juin 2019, ENS Jourdan, 48 Bd Jourdan, 10h-13h)

La dernière séance de l’année, en attendant un repos bien mérité, sera consacrée à Madeleine Follain et Armen Lubin, deux artistes qui furent étroitement liés leur vie durant et qui continueront le dialogue à travers le temps. Nous aurons le plaisir d’accueillir

Elodie Bouygues (Université de Besançon) : Vivre ensemble et séparés : la correspondance de Jean et Madeleine Follain

Madeleine+Follain+archives++Famille+DenisEn 1934, Madeleine (1906-1996), quatrième fille du peintre nabi Maurice Denis et peintre elle-même, épouse Jean Follain (1903-1971), jeune avocat d’origine normande qui commence à se faire un nom comme poète d’avant-garde. Les jeunes mariés adoptent d’un commun accord un mode de conjugalité original, vivant la plupart du temps en totale indépendance, chacun chez soi. Ils mènent à Paris, ensemble ou séparément, une vie de bohème un peu désargentée. Follain a besoin d’un calme absolu pour écrire, et Madeleine de son propre espace pour peindre. Ainsi, de 1934 à 1954 (date à laquelle elle s’installe définitivement avec son mari place des Vosges), Madeleine et Jean se retrouvent ou se croisent dans l’atelier de l’une ou l’appartement de garçon de l’autre, et s’y laissent des petits mots. Ils voyagent beaucoup, en France et à l’étranger, rarement ensemble. Ils s’écrivent tout le temps, pour un rien, ou pour se dire l’essentiel. La correspondance conservée et déposée à l’IMEC (1932-1971) est donc une correspondance conjugale, mais traversée par la grande Histoire et susceptible d’apporter également des éclairages sur leurs œuvres respectives et sur la vie intellectuelle et artistique de leur temps.

Elodie Bouygues est maîtresse de conférences à l’Université de Franche-Comté. Sa thèse de doctorat, dédiée au poète Jean Follain dont elle est l’ayant droit, est publiée sous le titre Genèse de Jean Follain (Garnier, 2008). Elle se consacre à l’étude, à la promotion et à la diffusion de son œuvre par des rééditions (Comme jamais, Le Vert sacré, 2003 ; Petit glossaire de l’argot ecclésiastique, L’Atelier contemporain, 2015 ; Célébration de la pomme de terre, Héros-Limite, 2016) et publications d’inédits. En collaboration avec la famille Denis, elle met également en lumière le travail de peintre de Madeleine Follain-Denis dite « Dinès » de son nom d’artiste (www.madeleinedines.com).

Hélène Gestern : Séparés, mais ensemble : la correspondance d’Armen Lubin et de Madeleine Follain

Armen cigaretteEn 1923, Chahnour Kérestédjian, âgé de 20 ans, débarque à Marseille et gagne Paris. Les accords de Lausanne, en entraînant l’exode définitif de milliers d’Arméniens, ont fait de ce jeune dessinateur et poète en herbe un apatride. Tout en gagnant sa vie comme photographe, il commence à écrire, en arménien, dans le quotidien Haratch, sous le nom de Chahan Chahnour, puis, à composer, à partir de la fin des années 1920, des poèmes en français sous celui d’Armen Lubin. Dans les cafés, il se lie à la bohème de Montparnasse et rencontre en 1932 celle qui s’appelle encore Madeleine Dinès. C’est le début d’une longue amitié : elle fait son portrait, il lui dédie un poème. Mais en 1936, Lubin tombe malade et lorsque la guerre éclate, en 1939, il doit quitter Paris pour les Pyrénées, où l’accueille la famille d’un compatriote. Commence alors une longue errance sanitaire qui pendant vingt ans le mènera d’hôpital en sana. Affaibli, isolé, Lubin n’a plus que l’écriture et la correspondance pour se raccrocher au monde. Au fil des quelque 350 lettres qu’il a écrites à Madeleine entre 1938 et 1973, on comprend comment celle-ci fut la personne cardinale de sa vie, y jouant tous les rôles, d’assistante sociale à quasi-soeur. Les lettres d’Armen à Madeleine, déposées à l’IMEC et encore inédites, sont donc une source d’informations irremplaçable pour mieux connaître la biographie du poète ; mais elles gardent aussi la mémoire d’une superbe relation entre deux êtres sensibles, démeurés unis malgré les aléas d’une vie qui aurait dû les séparer.

Hélène Gestern est écrivain. Complice de longue date de l’équipe « Autobiographie et correspondances », elle écrit sur la photographie, la perte et la mémoire. Elle prépare actuellement une biographie d’Armen Lubin (à paraître en mars 2020).

Attention, nos habitudes changent :  en raison de la session d’examens en cours, la séance aura exceptionnellement lieu dans l’amphithéâtre Jourdan, à l’ENS du 48 boulevard Jourdan, Paris 14e. Comme à l’ordinaire, l’entrée du séminaire est libre et gratuite.